Max Richter revient sur toute sa carrière

(Traduction d’une interview publiée sur le site selft-titled).

Mes premiers souvenirs sont associés à deux genres musicaux. Il y avait tout d’abord les disques classiques de mes parents à la maison. En particulier Bach. D’une certaine manière, ces sons avaient un sens. Je sentais une sorte de logique à l’oeuvre. Je ne comprenais pas vraiment ce que c’était. Je veux dire, je ne connaissais rien à la musique. J’étais juste un petit enfant. Mais j’avais ce sentiment d’ordre et de structure.

Puis, il y a eu ma propore expérience, à 4, 5 ou 6 ans d’avoir des mélodires dans ma tête et de les modifier. Puis, le lendemain, je reprenais la même chansons dans ma tête pour la modifier encore plus. J’avais toujours cette construction musicale en cours dans ma tête.

Plus tard, j’ai su que ça s’appelais de la composition. Alors j’ai fait ce que font tous les enfants comme les cours de piano et tout ça. Mais j’avais vraiment tout depuis le début. Je travaillais le matériel comme le fait un compositeur avant même de savoir ce que cela signfiait. Je trouvais ça amusant. D’un autre côté, il y avait aussi la musique qui se faisait autour de moi: le punk, le new wave et les débuts de la musique électronique, le rock alternatif. Pour moi toutes ces choses allaient ensemble.

Je me suis beaucoup intéressé à l’électronique dès que j’ai su ce qu’était un synthétiseur. J’ai entendu ces sons mais je ne savais pas quel instrument pouvait en être l’origine. J’ai fait mes recherches et j’ai fini pas construire des composants de synthétiseurs dans ma chambre.

Mon premier souvenir de musique électronique est celui des premiers albums de Kraftwerk. À l’époque, les synthétiseurs coûtaient aussi cher qu’une maison. Littéralement. Aujourd’hui on en a un gratuitement pour l’achat d’un Mac. Je construisais dans le style des synthétiseurs monophoniques Moog avec trois oscillateurs, des vocodeurs et des filtres divers. Je m’activais au fer à souder.

J’ai essayé plusieurs fois les cours de piano. J’ai commencé assez tôt (5 ou 6 ans) mais j’avais un professeur bien intentionné mais assez vieille école qui me frappait quand je faisais des fausses notes. Alors je me suis dit « tu sais quoi? Je vais pas continuer comme ça » et j’ai arrêté les cours de piano. J’y suis revenu plus tard, à l’adolescence. J’avais beaucoup à rattraper.

J’étais fasciné par la musique et les sons sous toutes leurs formes. Lorsque j’était enfant, ma mère m’a emmené voir Fantasia, le film de Disney. Dans ce film, il y a une séquence avec un extrait du Sacre du printemps de Stravinsky, une oeuvre musicale merveilleuse. Ça m’a tellement obsédé qu’on refait la queue devant le cinéma pendant une heure pour attendre la représentation suivante. Elle m’a emmené voir Fantasia deux fois dans la même journée… je suis un peu l’extraterrestre de la famille.  

Après je me suis un peu sorti. J’écoutais du rock psychédélique anglais et américain. Des trucs comme la scène musicale de Canterbury, les premiers Pink Floyd, les derniers Hendrix, un peu plus sombres, des musiques dans lesquelles on explore le son dans toutes ses formes. J’écoutais aussi des trucs de Krautrock comme Can et Neul et des trucs plus libres comme Ornette Coleman. J’aimais la musique expérimentale dans toutes ses formes.

Je vivais dans une petite ville au Nord de Londres. Il ne s’y passait pas grand chose sauf que c’était l’un des premiers endroits où le punk a pris très tôt. J’ai vu des gens comme The Clash, The Stranglers et Stiff Little Fingers ce qui était super parce que le punk, c’était tout casser, tout recommencer et inventer un nouveau monde.

Tout le monde était obsédé par le punk. Après, on s’est dit « Ho non, qu’est-ce qui s’est passé? ».  Les premiers trucs se tiennent encore. Je trouve que c’est un super travail. J’écoutais The Clash l’autre jour et London Calling est juste un super disque. 

J’ai longtemps gagné ma vie en jouant du piano. Puis j’ai fait une collaboration avec The future sound of London et Roni Size, le groupe de dance le plus libre et expérimental. Mais j’ai toujours continué à composer.

Je n’avais pas encore le sentiment d’avoir trouvé ma voie. Alors je suis allé en Italie étudier un temps avec Luciano Berio, un compositeur incroyable. À l’époque, j’écrivait une musique moderne extrêmement complexe, des trucs vraiment difficiles à pénétrer. (dans la tradition de Brian Ferneyhough et James Dillon qui appartiennent au mouvement de la nouvelle complexité) et il m’a simplement dit: « Pourquoi tu n’arrêtes pas d’être aussi compliqué pour aller directement à l’essentiel de l’histoire que tu veux nous raconter? » Alors j’ai commencé à tout affiner, à tout simplifier.  Ce n’est que quand j’ai écrit Memoryhouse que j’ai eu le sentiment d’avoir trouvé ma voix, avec laquelle je pouvais raconter les histoires que j’avais à raconter. 

Piano circus, c’était un projet à deux facettes, un projet musical et une expérience. Peut-on avoir un ensemble constitué d’une seule couleur: le piano? C’était aussi une expérience sociale car c’était une structure horizontale, un collectif. On a commencé par jouer Six Pianos de Steve Reich. On voulait juste monter la pièce pour nous amuser. Mais après, nous avons joué In C de Terry Riley et c’était très plaisant, alors on a fait quelques commandes et on a demandé à des amis d’écrire des pièces. On a fini par beaucoup enregistrer. C’était un laboratoire intéressant pour jouer et composer de nouvelles oeuvres.

J’en suis arrivé au point où je me suis demandé « Alors c’est quoi la musique? ». C’est quelques petites choses. C’est raconter des histoires, c’est s’exprimer. Et si tu essais de parler à quelqu’un ça devrait être dans une langue qu’il parle lui-aussi, n’est-ce pas? Il y a un côté direct, avec le minimalisme que j’apprécie beaucoup. Ça ne veut pas dire que c’est bête. Ça signifie simplement qu’on restreint le langage à quelques chose d’intelligible. J’apprécie beaucoup cet aspect-là.

On retrouve tout cela dans Sleep. C’est le projet le plus minimaliste que j’ai jamais fait, essentiellement sur l’impact direct de la musique sur la psyché. 

Ça a été un honneur pour moi de rencontrer Luciano Berio. Sa compréhension d’une partition était extraordinaire. J’avais toujours l’impression qu’il lisait dans mes pensées. Je lui amenais une page de notes intensément gribouillées et il comprenait tout de suite ce que j’essayais de faire, et ce dans des détails impressionnants. C’était saisissant, une capacité presque sur humaine. C’était un génie. 

J’ai fait sa connaissance grâce à un ami qui avait fait un atelier de composition dans lequel il a pu l’approcher. J’ai réussi à obtenir son adresse et je lui ai écrit une lettre. Je ne m’attendais pas à recevoir de réponse, donc quand j’ai eu sa lettre j’étais choqué, émerveillé. Je lui ai envoyé une pièce pour piano très compliqué, un peu pour dire: « voilà, c’est moi, je suis un compositeur sérieux, s’il te plait donne-moi des cours ». À ma grande surprise, il a accepté. 

Je ne me suis vraiment pas épanoui à la Royal Academy of Music, en partie à cause de mon comportement. Je voulais trop faire ce que je voulais, ça m’énervais d’avoir un cursus à suivre. Je voulais simplement suivre mon propre chemin. 

La musique électronique m’a toujours intéressé. C’est en électro qu’il se passait les choses les plus créatives. C’était un espace commun partagé. Avec les potes du Future sound of London, ça a été intéressant parce que pour commencer, je leur ai joué du piano. Par la suite je suis un peu devenu leur département de notation. Ils travaillaient avec beaucoup d’objets trouvés et des samples, aucun des deux n’avaient de formation musicale traditionnelle, alors ils avaient du mal à traiter les paramètres de hauteur de note et de timbre de leur musique. Je suis devenu leur dresseur de notes et j’ai fait toutes sortes d’arrangement et de production pour eux. Ils sont super, mais très différents. Brian (Dougan) est une sorte d’Ecossais cérébral et stoïque alors que Garry (Cobain) a une folie créative psychédélique. Ils ont vraiment besoin l’un de l’autre. Chacun apporte quelque chose de différent.

Mon travail avec Roni Size était un travail de mercenaire. Mais encore une fois, j’ai trouvé son travail très intéressant, en particulier sa façon de gérer le temps et le rythme. Il a vraiment apporté des innovations en la matière. C’est un virtuose. Le disque New Forme était un vrai changement.

FatCat m’a appelé pour me dire qu’une certaine Vashti Bunyan aimerait faire un disque avec moi, mais qu’elle ne savait pas comment s’y prendre. Je suis allé la rencontrer en ayant vaguement entendu parlé d’elle, sans vraiment la connaitre. J’ai rencontré une des personnes les plus gentilles que l’on puisse imaginer. Tellement honnête et franche. Elle sait raconter des histoires. On s’est très bien entendu et j’ai pensé que c’était vraiment un bon début et que son projet était intéressant et que cela me ferrait très plaisir d’y être associé. 

La gestation de ce disque a été longue. On a probablement travaillé dessus pendant presque un an. On s’est beaucoup amusé. Je me sentais comme une sage femme mettant au monde une créature. C’était une expérience très satisfaisante, nous avons fait un disque que j’aime toujours aujourd’hui.

Tout est arrivé pile au bon moment. Devendra (Banhart) et tous les Espers guys et Kieran (Hebden) des Four Tet ont pu être sur le disque. C’était un de ces moments vous-savez? Fascinant et amusant. 

J’ai écrit Memory house sans aucun espoir qu’il soit jamais enregistré ni créé, parce que c’est une pièce de grande ampleur et que je pensais que personne ne me donnerait les moyens de la monter. À ma grande surprise, la BBC l’a fait, c’était flippant!

C’était incroyable! Malheureusement je ne crois pas qu’il y ait eu une seule critique à sa sortie et presque aucune vente. À l’époque, ça m’a donné le sentiment d’être un raté. D’une certaine manière, ça a aussi été libérateur parce que ça  signifiait aussi qu’il n’y avait aucune pression sur moi. C’est comme un arbre qui tombe dans la forêt sans que personne ne soit là pour le voir. J’avais sorti ce disque et absolument personne ne l’avait écouté, alors je me suis dit: « dans ce cas, j’ai pas à m’inquiéter de plaire à qui que ce soit! ».

J’ai parlé à FatCat d’un projet avant The blue notebooks. Il y avait certaines choses extraites de Memory house et ils étaient assez enthousiastes. J’avais entendu le premier disque de Sigur Ros, Set fire to Flames et Godspeed you! Black Emperor et je me suis dit: « Ok, d’une certaine façon ces mecs ont un lien avec mon univers ». Mais il n’y avait aucun moyen de faire un gros projet comme Memory House sans un gros budget. Alors ça a été parfait quand le BBC s’est proposé de financer Memory House. J’ai pu faire un projet plus modeste avec FatCat, et c’est comme ça qu’est né The blue notebooks.

Je voulais utiliser ces textes de Kafka dans l’enregistrement et j’ai pensé que Tilda serait parfaite pour les lire. Alors je l’ai tout simplement appelée après avoir obtenu son numéro par son agent. Heureusement, elle faisait partie des quatre personnes sur la terre qui avait entendu parler de Memory house, alors elle était super contente. C’était complètement fou. Elle est très créative, absolument brillante et pleine d’idées.

C’était super, vraiment bien. Elle a accepté de le faire et j’ai sauté dans un avion pour l’Ecosse. On l’a enregistré là-bas en une heure, il me semble, et puis on a pris le thé avec ses enfants.

Robert Wyatt est légendaire n’est-ce pas? Quel musicien, conteur, être humain merveilleux! Un type super intéressant, un personnage hyper créatif et complexe! Honnêtement, j’étais très ému d’être dans la même pièce que lui. Je suis allé chez lui avec un enregistreur et on s’est assis pour boire du vin et enregistrer. (Pour Song from before)

Je m’intéresse beaucoup aux biographies comme d’un genre de fiction. Cet état de rêve dans lequel nous nous racontons notre propre vie. La mémoire et tout ces trucs sont dans les livres de Murakami. C’est drôle, je l’ai découvert dans un vol vers Tokyo. J’ai fait ce drôle de voyage où tout dans l’imaginaire et la réalité s’emmêlaient. Ça a rendu tout ce voyage hyper réel. J’aime ce genre de choses.

24 postcards in full colours était une réaction à l’aspect mercantile des sonneries de téléphone. Pourquoi la musique sortant de ces enceintes est-elle tellement nulle? À mon sens, cela aurait pu être un espace créatif au lieu d’un espace purement commercial et c’est une occasion manquée pour la musique. D’une certaine manière, les chansons sont comme des anti-sonneries qui vont vous faire manquer vos appels, ce qui est le but.

C’est un peu une façon de provoquer, mais ça a aussi été un cauchemar pour moi en tant que compositeur. Néanmoins, chaque forme présente ses défis, que ce soit le ballet, une musique de film ou un disque. Toutes ont leurs limites.

Le ballet Infra original était une réponse aux attentats de Londres sur le 7/7. C’était une oeuvre sur le voyage, les chansons ont un côté existentielles, une méditation sur l’état politique Londonienne à cette époque et la tragédie de ces évènements. On connaissait tous quelqu’un qui en a été affecté ou qui avait été tué. La musique est une activité sociale et par définition, prise de position est un acte politique.

Vivaldi (recomposed) était un projet expérimental, ma réponse personnelle aux Quatre Saisons, une oeuvre que j’adorais au départ mais que j’ai fini par détester en grandissant à force de l’entendre trop souvent. C’était une manière de la redécouvrir, d’ explorer ce paysage et de trouver une nouvelle manière d’en faire l’expérience, une autre perspective sur ce matériel, un acte affectif et pas de vandalisme.

Dormir est l’une de mes activités préférées. C’est une idée que j’entretiens depuis longtemps. Cela s’inscrit dans l’intérêt renouvelé pour les oeuvres d’art de longue durée comme celle de Marina Abramovic, Terry Riley et Philip Glass. Mais c’est également en lien avec mon intérêt pour les performances musicales et ces rituels. 

J’ai toujours eu le sentiment qu’une performance était plus qu’une installation. Les mises en place dans les Galeries sont toujours plus libres dans leur structuration que dans les endroits plus formels. Je le prend comme une expérimentation, pour voir comment le sommeil et la musique peuvent coexister. Et pour effectuer tout cette expérimentation il faut pouvoir suivre toute cette trajectoire.

Max Richter sur deux de ses musiques de film

Valse avec Bashir

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Un jour j’ai reçu un courriel sortant de nulle part d’un type qui me disait: « Je viens de m’enterre dans une cabane sur une plage à écouter The blue notebook pendant trois jours de suite en écrivant un film. Je l’ai fini, maintenant, il faut que vous en écriviez la musique. J’étais scotché. Il se trouve que c’était Ari Folman. Quand j’ai lu le scénario puis vu le petit extrait qu’il m’a envoyé, j’ai tout de suite su que je voulais travailler avec lui. Valse avec Bashir est une oeuvre marquante de l’histoire du cinéma, et certainement l’un des rares d’une telle importance dans les films de ce début de siècle. Ari est un génie.

Il est venu à Edinbourgh, où je vivais à l’époque pour le film. Mais nous n’avons rien fait, seulement passé quelques jours ensemble à boire et à parler de notre passion mutuelle pour Bob Dylan. Et ça a été tout. Il m’a laissé faire tout ce que je voulais. J’ai écrit presque toute la musique en une semaine, sans me référer aux images, uniquement au scénario remarquable d’Ari. On avait très peu d’argent pour le projet, donc ça a été un enregistrement inhabituel. J’ai essayé de faire en sorte que cinq instruments sonnent comme un orchestre. J’en ai passé du temps là-dessus!

Cette année-là, Valse avec Bashir était contre Wall-e aux Oscar pour le meilleur film d’animation et quelqu’un nous a fait remarqué qu’on n’avait pas à être triste d’avoir perdu parce que le budget de la musique de Wall-E était supérieur au budget entier de Valse avec Bashir. Hilarant. Je suis toujours très fière de ce film. C’était remarquable.

The Leftovers

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J’ai eu la surprise de recevoir un appel de Daman Lindelof pour une nouvelle série (la première après Lost) et, de nouveau, après avoir lu le script, j’étais complètement emballé. Damon et Tom Perrotta (qui a écrit le livre et qui est très impliqué dans la série), sont hyper intelligents et c’est très agréable de travailler avec eux. Ils ne se mêlent pas de tout et quand ils font une remarque ce sont toujours de bonnes idées.

Alors  c’était génial de travailler sur cette série. Je n’ai jamais vu Lost, et j’en suis content, parce que je vis dans le monde de Damon comme un novice, je savoure chaque épisode dès qu’il arrive dans ma boîte mail et je reste avide de voir ce qui va suivre. J’essaie de ne pas deviner la suite, comme ça la série garde toute sa fraîcheur.

L’année dernière, on a joué plusieurs fois la musique en live et on aurait pu entendre une aiguille tomber pendant le concert. Les gens sont vraiment immergés dans cet univers.